JUAN COLE 17/09/2018
(traduction de Jean Granoux)
Le Coran fustige les juifs et les chrétiens du début des années 600 après JC pour leurs théories exclusives du salut. Alan Race et John Hick ont identifié trois positions possibles pour une religion face à la perspective d’aller au paradis pour les membres d’autres religions.
L’exclusivisme est la position que seuls les membres de votre propre religion seront sauvés et que les gens qui suivent d’autres voies spirituelles sont condamnés à l’enfer. Cette notion est commune chez les évangéliques aujourd’hui et était la position de l’Église catholique (extra Ecclesiam nulla salus – en dehors de l’église, il n’y a pas de salut). Les musulmans fondamentalistes défendent ce point de vue.
L’inclusivisme est la position selon laquelle votre religion a toute la vérité, mais que d’autres religions détiennent une part de vérité. C’est la position adoptée par le Concile Vatican II envers d’autres religions telles que l’islam et le bouddhisme.
Le pluralisme est la notion selon laquelle il y a beaucoup de vraies religions qui mènent au salut. Cette position est commune chez certains hindous, les quakers et de nombreux soufis tels que Jalaluddin Rumi.
Je discute cette question en ce qui concerne le Coran dans mon nouveau livre : Mahomet : Prophète de la paix au milieu du choc des empires, à paraître le 9 octobre
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Le Coran, dans le chapitre de La Vache (2: 111–112), se plaint de l’exclusivisme des Juifs et des chrétiens de son époque : « Ils affirment que personne n’entrera au paradis que les Juifs ou les Chrétiens. Telles sont leurs vaines notions. Dites : produisez vos preuves, si vous parlez vrai. Plutôt, tous ceux qui se soumettent à Dieu et accomplissent de bonnes œuvres recevront leur récompense de leur Seigneur, et aucune crainte ne sera sur eux, ni ne les attristera ». Plus tard dans La Vache (2: 135), le Coran se plaint : « Ils disent : « Devenez Juifs et Chrétiens et soyez guidés ». Non, la Parole d’Abraham, le pieux gentil. Il n’était pas polythéiste. ????
Le Coran proclame que tous les monothéistes vertueux iront au ciel – les Juifs, les Chrétiens et les croyants en la mission de Mahomet. Je pense qu’il y a des signes que le Coran accepte également parmi les sauvés les Zoroastriens ainsi que ceux qu’on qu’on qualifie de « monothéistes païens » ou de pieux (ces païens qui en sont venus à voir en Zeus ou en l’une de ses manifestations locales la divinité suprême et unique, et à réduire les autres membres du panthéon à de simples anges).
C’est parce que tous les monothéistes suivent la Parole d’Abraham.
Le terme pour “Parole” dans ce passage est généralement translittéré comme millah, mais ce n’est pas un mot arabe. C’est un emprunt à l’araméen, melta. Melta est le terme araméen/syriaque pour « Parole ».
Melta, à son tour se fonde sur le Logos grec, ce qui signifie beaucoup plus que la simple «parole». Cela peut signifier l’esprit de Dieu ou la raison immanente dans l’univers. Il est utilisé dans le Nouveau Testament dans Jean 1: 1, qui dit: « Au commencement la Parole existait déjà. La Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu. 2 Elle était au commencement avec Dieu. 3 Tout a été fait par elle et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. 4 En elle il y avait la vie et cette vie était la lumière des êtres humains. » (trad. Segond 21) Le grec est ici « Logos » et dans la Peshitta (le Nouveau Testament en syrique/araméen), le terme de « melta » est utilisé.
Mais Logos signifie également « religion » ou « voie spirituelle » dans l’Antiquité tardive (200-700). Celsus, un païen antichrétien, appelle sa polémique « La Vraie Parole » (Λόγος Ἀληθής ) par laquelle il entend la religion grecque traditionnelle.
La Parole d’Abraham pourrait ainsi être qualifiée de «philosophie d’Abraham» ou de «religion d’Abraham» ou de «principe cosmique d’Abraham». Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un concept beaucoup plus vaste que celui qui lui alloué par la plupart des commentateurs ou traducteurs. Au cours des siècles suivants, [le mot hébreu] «millah» a pris en arabe le sens (connotation) de «communauté», mais ce n’est pas ce que «millah» signifie dans le chapitre de La Vache. Millah y signifie Logos.
J’ai fait beaucoup de recherches par mot-clé en grec et dans d’autres langues dans l’espoir de découvrir si le Coran était le premier à utiliser ce terme, le Logos d’Abraham, avec le sens de la pensée monothéiste. Je suis finalement tombé sur l’essai de Philon «De Migratione Abrahami», 70–73, dans Philo in Ten Volumes, édité et traduit par F. H. Colson et G. H. Whitaker, 10 volumes. (Londres: Heinemann, 1932 [1985]) 4: 170 / 171–172 / 173.
Le philosophe juif hellénistique Philon d’Alexandrie (né vers 20 av. J , mort vers 50 ap. JC) est l’un des rares auteurs à avoir utilisé cette conception de la Parole d’Abraham dans son essai sur «La migration d’Abraham». Il y mentionne la bénédiction que Dieu accorde au patriarche dans Genèse 12: 2: «Je ferai de toi une grande nation, je te bénirai, je rendrai ton nom grand, et tu seras une source de bénédiction (trad. Segond 21).» Philo a identifié la bénédiction que Dieu accordera à Abraham à la fois à la raison et à la parole, les deux significations pour lui du mot grec logos ou parole, qui «lorsqu’on le comprend ressemble à une source, et s’appelle ‘raison’, tandis que le fait de s’exprimer par la bouche et la langue est comme son écoulement et se nomme ‘parole’ ». Philon croyait que la bénédiction de Dieu sur Abraham s’était manifestée par l’octroi de la « bonne raison » et de « l’excellent discours », tous deux ouvrant des voies vers la compréhension et la piété cosmiques.
Dans l’état actuel de la recherche, il n’est pas possible de relier le passage du Coran à propos de la Parole d’Abraham comme voie universelle du salut à la conception plus étroite, juive hellénistique, de Philon sur la Parole d’Abraham en tant qu’octroi (effusion?) par Dieu sur lui et sur les Juifs du Logos (c’est-à-dire de la «Raison» et du «discours raisonné»). Mais je n’ai pu trouver aucune autre utilisation de cette phrase par d’autres auteurs.
Imaginez mon chagrin quand j’ai découvert l’autre jour que j’avais été devancé d’environ 130 ans. Il ya quelque temps, j’avais demandé à des étudiants de premier cycle qui travaillaient avec moi de scanner le Dictionnaire de l’islam de Hughes de 1885 en tant que wiki. Comme pour la plupart des études victoriennes sur l’Islam, il s’agit d’un produit ambigu, parfois offensant et orientaliste, mais pù on trouve parfois des informations utiles. Et l’entrée sur «Millah», que je n’avais jamais lue moi-même ou à laquelle j’avais jeté un coup d’œil puis rapidement oubliée, met en lumière tous les points concernant « melta » et « Logos » et « Philon » !
Eh bien, si je n’ai pas été aussi original que je l’espérais, je ne cours pas le risque d’être idiosyncratique. Et, il est vraiment intéressant de noter que l’entrée de Hughes semble avoir complètement disparu de l’érudition occidentale, puisq’elle ne figure pas dans les notes de bas de page de plusieurs articles et essais académiques récents portant sur Abraham dans le Coran et que j’ai lus en relation avec mon livre.
Une chose est claire, le Coran est un texte plus profond que de nombreux observateurs ont pensé. Son utilisation de l’idée de Logos comme voie universelle de salut pour les monothéistes est clairement néoplatonicienne. C’est un texte de l’Antiquité tardive, parlant non seulement au Hedjaz d’Arabie, mais aussi au Proche-Orient romain, dans le langage conceptuel de ce dernier (nous sommes un certain nombre à penser que les habitants de Damas, de Bostra et d’Antioche usaient du grec comme langue véhiculaire à l’époque de Mahomet, et les papyrus de Petra prouvent que cela est vrai pour Petra.
Mais que le mot «millah» en arabe ait pris le sens de « communauté » plutôt que celui de « mot », de « religion », ou de « logos », aura amené de nombreux exégètes tardifs à mal comprendre ce qui était dit. Que toutes les religions monothéistes participent au Logos du patriarche et que tous leurs fidèles peuvent accéder au salut.
Annexe : Le Dictionnaire de l’Islam de Hughes (extrait)
MILLAH ملة Un mot qui apparaît à quinze reprises dans le Coran, huit fois pour la religion d’Abraham (Sourates ii. 124, 129; iii. 89; iv. 124; vi. 102; iii. 38: xvi. 124; xxii. 77); deux fois pour la religion des anciens prophètes (Sourates xiv. 16; xxxviii. 6); une fois pour la religion des sept enfants de la grotte (Sourate xviii, 19); trois fois pour les religions idolâtres (Sourate xii. 37, vii 86, 87); et une fois pour la religion des juifs et des chrétiens (Sourate ii. 114). Le mot est utilisé dans les Traditions pour la religion d’Abraham (Mishkat, livre x. Ch. V.).
Selon le Kitabu’t-Ta’rifat, il exprime la religion en tant qu’elle est en relation avec les prophètes, comme distingué de Din دين, qui signifie la religion en tant qu’elle est en relation avec Dieu, ou de Mazhal مذال, qui signifie que la religion en tant qu’elle fait référence aux docteurs érudits [RELIGION ?] Sprenger et Deutsch ont investi l’origine et la signification de ce mot avec un certain montant de mystère, ce qui est intéressant.
Le Dr Sprenger dit (Das Leben und die Lehre des Mohammad, vol. ii. p 276 n) -. Lorsque Mahomet parle de la religion d’Abraham, il utilise généralement le mot Milla (Millah) et non Din. Les philologues arabes ont essayé de retracer la signification du mot de leur langue maternelle. Ainsi, Malla (Mallah) signifie « feu » ou « cendres chaudes » en arabe et Zaggag dit (Thalaby, vol. II, p. 114), que la religion est appelée Milla à cause de l’impression qu’elle fait, et que l’on peut comparer à celle que fait le feu sur le pain qui se réduit en cendres.
Comme les Arabes ne peuvent donner une meilleure explication, il faut présumer que le milla est un mot étranger, importé par les professeurs de la « Milla d’Abraham » dans le Hidjaz. Philon considérait Abraham comme le principal promoteur de la doctrine de l’Unité de Dieu et sans doute, même avant Philon, la pensée juive, en retraçant la doctrine de la vraie religion, non seulement jusqu’à Moïse, mais même au père de leur nation, a fait éclore (a émancipé) le caractère indispensable du Coran [comme] loi, et ainsi préparé le chemin de l’Essénisme (?) et du christianisme. »
Dans son article sur l’Islam (Literary Remains, p 130), M. Emanuel Deutsch dit : « Le mot utilisé dans le Coran pour la religion d’Abraham est généralement Milla. Après avoir ridiculisé les tentatives vraiment absurdes tendant à le faire dériver d’une racine arabe, Sprenger conclut que ce doit être un mot étranger introduit par les professeurs de la « Milla d’Abraham » dans le Hidjaz. Il a parfaitement raison. Milla = Memra = Logos, sont identiques; étant les termes hébreu, chaldéen (Targum, Peshitta dans des graphies légèrement différentes), et grec respectivement pour la « Parole », qui est le substitut du nom divin utilisé par le Targum, par Philon, par St. Jean. Cette Milla ou « Parole qu’Abraham a proclamée, lui, qui n’était pas un astrologue mais un prophète », enseigne selon la Haggada, en premier lieu, l’existence d’un seul Dieu, le Créateur de l’Univers, qui dirige cet univers avec tendresse et miséricorde ». (traduction de Jean Granoux de l’original américain, “The Logos of Abraham in the Qur’an and Universal Salvation for all True Religions”)