par JUAN COLE 07/21/2018
(Traduction et notes par Jean Granoux)
Le mot “djihad” est devenu omniprésent en anglais. Le directeur du renseignement national, Dan Coates, a parlé hier de «djihadistes». La droite en Occident essaie d’utiliser ce terme pour remplacer le manifeste [du parti] communiste comme l’ultime menace de l’Autre. Il figure en bonne place dans les accusations du FBI contre les militants. Il est souvent qualifié de «guerre sainte». Les gens, en particulier ceux qui détestent l’islam, pensent qu’il signifie agressivité et que ce concept est inhérent à la religion islamique.
En fait, le prophète Mahomet n’a jamais prêché le «djihad» dans ce sens de «guerre sainte», comme je le dis dans mon nouveau livre:
Muhammad: Prophet of Peace amid the Clash of Empires, coming out October 9
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Dans l’Écriture musulmane, le Coran, le mot “jihad” ne signifie pas “se battre” mais s’engager dans une lutte pieuse et éthique (il en est de même pour d’autres mots de la même racine arabe). Il a été suggéré qu’il est similaire au mot grec agon, la lutte, le conflit, le défi. La culture grecque antique était très portée sur la compétition (concurrentielle), et on trouvait agōn partout dans le débat, les concours athlétiques, etc. Les Jeux Olympiques étaient un agōn. Le mot «agonie» dérive de cette racine, au sens d’une épreuve, mais en grec, le mot signifie simplement une «compétition», sans qu’elle soit nécessairement atroce.
Agōn est également utilisé dans un sens spirituel dans le Nouveau Testament.
Par exemple, 1 Timothée 6:12 dit
Combats le bon combat de la foi, saisis la vie éternelle, à laquelle tu as été appelé, et pour laquelle tu as fait une belle confession en présence d’un grand nombre de témoins.
ἀγωνίζου τὸν καλὸν ἀγῶνα τῆς πίστεως, ἐπιλαβοῦ τῆς αἰωνίου ζωῆς, εἰς ἣν ἐκλήθης καὶ ὡμολόγησας τὴν καλὴν ὁμολογίαν ἐνώπιον πολλῶν μαρτύρων.
Dans 1 Thessaloniciens 2: 2, l’apôtre Paul utilise le mot agon pour la forte “opposition” à sa prédication là-bas et à Philippes:
Après avoir souffert et reçu des outrages à Philippes, comme vous le savez, nous prîmes de l’assurance en notre Dieu, pour vous annoncer l’Evangile de Dieu, au milieu de bien des combats.
ἀλλὰ προπαθόντες καὶ ὑβρισθέντες καθὼς ν Φιλίπποις ἐπαρρησιασάμεθα ἐν τῷ Θεῷ ἡμῶν λαλῆσαι πρὸς ὑμᾶς τὸ εὐαγγέλιον τοῦ ῦεοῦ ἐν πολλῷ ἀγῶνι.
h/t Creeds & Deeds.
En ce qui concerne les pères de l’église comme Basile de Césarée (mort en 379), Silouan Fontineas écrit :
“Dans les lettres de Basile, la discipline ascétique et la lutte (ἀγῶνα [agōna]) associées à une vie de purification, impliquaient que l’édification de la foi d’une personne était une conséquence directe du fait de servir autrui. ”
Ces deux sens, de la lutte spirituelle et du conflit social caractérisent également le djihad arabe dans le Coran, et je soupçonne que le jihad est un emprunt arabe au grec agōn, c’est-à-dire que la conception arabe a été formée en relation avec le mot grec. Il vaut certainement la peine de comparer systématiquement les deux concepts, et de lire le mot [djihad] dans le Coran avec un œil neuf sans être perturbé par des notions féodales médiévales plus tardives.
Dans Le pèlerinage (Al-Hajj), chapitre 22: 77-78 du Coran, le djihad est utilisé au sens de lutte spirituelle et de sacrifice pour l’amour de Dieu, tout comme dans 1 Timothée 6:12:
Vous les croyants : inclinez-vous, prosternez-vous, adorez votre Seigneur et faites le bien, et de la sorte vous prospérerez peut-être. Efforcez-vous fermement [jahidu] pour l’amour de Dieu, en organisant une lutte [djihad] pour lui comme il convient. Il vous a choisi, et ne vous a imposé aucune contrainte dans la religion, qui est la parole de votre ancêtre Abraham. Et il vous a nommé monothéistes [musulmans] autrefois, quelque chose dont le Messager témoignera à votre égard, et à laquelle vous serez témoins devant le peuple. Priez donc régulièrement, donnez la charité aux pauvres et réfugiez-vous auprès de Dieu. Il est votre soutien, et le meilleur des soutiens, et le meilleur des sauveurs.
Ce verset parle clairement d’une lutte purement spirituelle pour être un être humain bon et honorer Dieu. Les parallèles dans le verset pour le jihad sont de faire le bien, d’accomplir les prières, d’aider les personnes méritantes en faisant la charité (zakat) et de trouver refuge en Dieu.
De la façon dont le Coran utilise le terme, quand vous donnez la charité aux pauvres pendant les fêtes, c’est le djihad. (Rappelez-vous, ci-dessus, que saint Basile a utilisé agon / lutte pour parler du défi de «servir les autres»). Quand vous vous perdez dans la prière ou la méditation, c’est le djihad.
Le nom jihad n’apparaît que quatre fois dans le Coran. Tous les passages sont comme celui-ci. Ils ne mentionnent rien qui évoque le combat ou la guerre.
Le verbe, qui apparaît également ci-dessus, n’implique pas non plus la violence. Un verset (The Criterion / al-Furqan 25:52) [dit au croyant] parle de refuser de se prosterner devant les militants païens qui s’opposent aux enseignements de Mahomet, et lui dit de s’engager dans une lutte majeure avec eux « sur le champ »(? thereby), c’est-à-dire une lutte verbale utilisant le Coran. C’est comme le conflit ou agon auquel Saint-Paul a fait face à Thessalonique et à Philippes en Macédoine. Ce sens non-violent du verbe ici est pleinement admis par la tradition des commentaires musulmans ultérieurs (qui, cependant, parfois dans d’autres cas militarise des versets qui n’ont pas une telle connotation).
Le chapitre de The Chambers (al-Hujurat) 49:15 instruit (Arberry),
“Les croyants sont ceux qui croient en Dieu et en Son Messager, qui n’ont pas douté et ont lutté dans les voies de Dieu avec leurs moyens et leur être; ceux-là ce sont les fidèles (truthful ?).
Les versets qui viennent immédiatement avant celui-ci n’ont rien à voir avec l’idée de conflit, et ce verset fait partie d’une série de commentaires pastoraux. Il est clair que donner de l’argent à la cause et se donner à la cause sont les deux types de djihad.
Ce verset me semble très similaire à la lettre de Paul aux Philippiens (où les nouveaux chrétiens comme nous l’avons vu ci-dessus, étaient confrontés à une opposition sévère), 1:27:
Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Évangile du Christ. Ainsi, soit que je vienne vous voir, soit que je reste absent, j’entendrai dire de vous que vous tenez bon dans un seul esprit, que vous luttez ensemble, d’une seule âme, pour la foi en l’Évangile, (trad. AELF)
Ici, le verbe grec utilisé pour lutter côte à côte avec vos “esprits” ou votre “être” (psyché en grec, nafs en arabe), qui est parallèle au Coran « lutté dans les voies de Dieu avec leurs moyens et leur être », est συναθλέω (synathleō), qui est composé de syn, ensemble, et d’athleō – rivaliser ou lutter. C’est bien sûr l’origine de notre mot «athlétisme». Ce verbe en grec joue exactement le même rôle que le jihad arabe. En fait, un mot de la même racine arabe, juhd ou effort, est utilisé sur le site en arabe de la FIFA pour décrire les équipes qui luttent pour gagner la Coupe du monde de football. La racine en arabe est en rapport avec la lutte et l’effort, pas avec la violence.
Le Coran de la période de la Mecque, 610-622, conseille aux croyants harcelés par les païens de simplement «se retirer gracieusement» et d’être «patients».
Arabie pré-islamique. h / t WikiMedia.
Bien sûr, quand Mahomet et ses partisans ont été expulsés en 622 de La Mecque dans le Hedjaz à Médine, et quand les païens truculents de la Mecque ont lancé à plusieurs reprises des guerres contre eux dans l’espoir de les massacrer et de prendre leur ville, le Coran leur a permis de défendre eux-mêmes militairement.
Ce n’était pas, cependant, une guerre sainte agressive, mais plutôt une juste guerre de défense telle que comprise par ex. Saint Augustin et Saint Ambroise à la fin du christianisme antique juste avant l’époque de Mahomet. La guerre juste n’est pas un «terrorisme» dans la mesure où elle est menée sur un champ de bataille contre des pairs. Le Coran dit aux croyants de “combattre ceux qui vous combattent”.
Il n’y a pas de verset dans le Coran où le djihad soit explicitement associé à une lutte physique et belliqueuse. Le mot que le Coran utilise pour se battre pour protéger la communauté musulmane naissante contre les armées militantes envahissantes païennes est un mot laïque (qital). Il n’y a pas de théorie de la guerre sainte dans le Coran, une idée probablement développée par l’Empire chrétien byzantin lors de ses guerres avec l’Iran Sassanide, et que certains Musulmans adoptèrent plus tard des Byzantins alors qu’ils les combattaient sur la frontière, dans les siècles suivants.
Autant que je puisse voir, les musulmans dans les générations qui ont suivi la mort du Prophète en 632 se sont engagés dans une série de changements linguistiques tels qu’ils ont doté le vocabulaire coranique de nouvelles significations qui n’étaient pas présentes à l’origine. Ainsi, le Coran dit que Salomon et les disciples de Jésus étaient des musulmans, ce que je traduis par «monothéistes». Ce n’était pas le mot usité pour les adeptes de Mahomet en particulier – tous les descendants d’Abraham qui suivaient la Parole (en araméen melta, en grec Logos, Arabe millah) du Dieu unique étaient musulmans. Mais plus tard, les Musulmans se sont approprié le terme uniquement pour le peuple de Mahomet et du Coran.
De même, dans le Coran, le combat est qital (et c’était toujours en légitime défense du vivant du Prophète), mais, comme l’a soutenu Michael Bonner, les générations suivantes se sont approprié le terme djihad pour cette activité. Les musulmans à des époques plus récentes ont également attribué beaucoup de paroles au prophète Mahomet. Ma propre règle est qu’ils ne sont pas fiables à moins qu’ils ne correspondent clairement à un verset ou à une valeur coranique. Tout dicton ou hadith qui utilise “djihad” pour signifier “guerre sainte” est clairement beaucoup plus tardif que le Coran lui-même (bien qu’il puisse contenir un noyau plus ancien).
Ma théorie est que les Arabes qui vivaient sous l’Empire romain d’Orient de l’année 106 de notre ère jusque vers la fin des années 500 avaient développé de nouveaux mots et avaient infléchi les anciens avec des conceptions grecques et araméennes, ce qui aurait été important pour ceux, comme Philippe l’Arabe, qui s’éleva dans l’empire romain (jusqu’à devenir empereur) ou ceux qui ont étudié la philosophie ou se sont convertis au christianisme. Il y a eu 400 ans d’interaction linguistique dans le nord et l’est de la Syrie, dans la Transjordanie, la Palestine et le nord du Hedjaz, pour lesquels nous n’avons aucune preuve littéraire avant le Coran, bien que certaines inscriptions rupestres aient fait l’objet de découvertes épigraphiques récentes. On a même trouvé des inscriptions rupestres bédouines bilingues en grec et en arabe. La théorie de Fergus Millar est également importante : selon lui les villes du Proche-Orient dans l’Empire romain d’Orient utilisaient le grec plutôt que l’araméen comme norme urbaine (langue véhiculaire ?). Cette hypothèse serait compatible avec les papyrus de Petra des années 500 et les documents Nessana, où le grec est utilisé pour les lettres et les documents par des personnes qui sont clairement arabes, et où les mots et les noms arabes sont translittérés en lettres grecques.
Le Proche-Orient romain au temps de Mahomet, Creative Commons via Getoryk.
Je pense aussi que l’arabe avait une relation directe et indépendante avec les idées et les mots grecs sans être nécessairement intermédiée par l’araméen ou le syriaque. Par exemple, dans le Nouveau Testament araméen Peshitta, agōn est traduit par k * t * sh, «se battre» dans 1 Timothée 6:12, tandis que dans 1 Thessaloniciens 2: 2 l’agon grec est simplement pris comme un emprunt, ἐν πολλῷ ἀγῶνι.
Un autre parallèle grec au jihad pourrait être spoudaios , comme utilisé par Plotin et ses disciples. Les néoplatoniciens comme Damascius étaient toujours actifs à Damas et Bostra dans la génération d’avant Mahomet, et on dit qu’il a souvent voyagé dans ces villes, pour des foires commerciales d’un mois et il est possible qu’il y ait résidé une partie de l’année. Si, comme il semble probable, à Petra, Bostra et Damas, le grec était la norme urbaine au sixième siècle, alors Mahomet en aurait souvent fait usage là-bas.
Juan Cole est le rédacteur en chef du blog Informed Comment https://www.juancole.com/ qu’il a fondé. Il est professeur d’Histoire à l’Université du Michigan (chaire de Richard P. Mitchell jrcole@umich.edu